Depuis plus de dix ans, Rémy Marlot et Arianne Chopard travaillent la photographie comme la peinture. Nourris aussi bien par le cinéma, la littérature que par le Land Art, la peinture flamande et le romantisme allemand, ils livrent dans le paysage photographique international, un regard absolument neuf et ultra contemporain sur les lieux en friche comme ceux chargés d’histoire.
« Au pays des merveilles de Juliet », chante Yves Simon. « J’aime jouer avec les terreurs enfantines des autres, j’aime faire monter la tension », dit Rémy Marlot. Et la tension monte dans ses photographies. Jusqu’au point inatteignable d’une sublime beauté. D’une rareté inimaginable. Et étonnement, dans un calme absolu, un apaisement quasi mystique, où l’artiste nous propulse et nous entraîne par la main. Dans une échappée belle à La Poe ou Ellroy où se multiplient des images intrigantes, captivantes, d’une nostalgie absolument contemporaine. Entre réalité et fiction, entre clair-obscur, entre chien et loup ou, juste lorsqu’un rayon apparaît, le capte et le transcende. Clignement des yeux. Comme une ouverture, un miracle. Ici, des immeubles abandonnés, les sculptures d’un bas-relief, un lieu en friche, un jardin, là, les lustres de l’Opéra ou l’usure du musée Rodin… Le photographe regarde et shoot des images qui deviennent grâce à sa sensibilité, extraordinaires, où la lumière « magnifie tout », dit-il. Rémy Marlot entremêle ainsi les notions de Nature et de Culture pour mieux offrir l’image crépusculaire, spectrale et poétique d’un monde en ruine. Le regard s’accroche aux teintes si subtiles de la végétation, à la recherche merveilleuse des dégradés de verts et de bleus profonds, à la confrontation magnifiée de la nature et d’éléments d’architecture. Ces non-lieux comme aussi cette quête de lieux anciens d’histoire en appellent aussi bien au Land art, à la peinture flamande comme au paysage romantique dans la subtilité d’un brouillage sublime des sens.
« Il y a beaucoup de références cinématographiques, poursuit Rémy Marlot, au cinéma russe, à Tati… Je me souviens, lorsque j’étais jeune et voyageais beaucoup dans les trains corails. Il y a avait au-dessus des banquettes des photographies de paysages… ». Résurgences. Son univers ne connaît pas le monde et sa frénésie. Le temps s’arrête. En suspens. En lévitation. Comme pour faire une pause dans l’intranquillité de la vie et de l’être. « Je m’arrange toujours pour qu’il n’y ait personne sur mes images. Je cherche aussi des lieux peu fréquentés comme les friches ou les no man’s land qui ont gardé les traces d’un temps ancien. Et je suis comme dans le romantisme, face au monde, face à la nature ». Contemplation. Unheimlichkeit. Ses images respirent cette « inquiétante étrangeté » dont parlait Freud. Et le photographe de créer d’incroyables séries où le temps s’arrête et scrute le sujet de tous côtés. « J’ai un regard cubiste de décomposition du lieu, de l’espace ». Et il joue des défauts de la lumière comme les contre jour, travaille ses photographies couleur en noir et blanc, accentue sans cesse les détails. Rémy Marlot travaille la photographie comme on travaille un diamant. Avec un soucis minutieux et profond du détail, du moindre reflet, du moindre éclat. … « Pour avoir une image toujours plus dense ». « Il y a des choses qui rappellent l’enfance aussi… explique t-il… qui apparaissent un peu comme par magie. Sans que l’on s’y attendent ». Et sans que l’on s’y attende, Rémy Marlot bouscule notre vision du monde. Donne à atteindre un espace mental d’une esthétique rare. Un espace de fantasme et de méditation. Des traversées du temps. Des sens. Des émotions. Inoubliables…. « Au pays des merveilles de Juliet… ». Anne Kerner (texte publié pour le magazine Edgar n°67, novembre-décembre, 2011)
Texte d’Arianne Chopard-Guillaumot“Si le passé historique de la ville avec ses monuments et hôtels particuliers semblait d’abord devoir indiquer les lieux à photographier, c’est finalement, au fil des promenades de Rémy Marlot, une atmosphère des lieux, à la fois nostalgique, douce et silencieuse qui a guidé la prise de vue et le choix des images de la série. Les lieux, comme suspendus hors du temps, s’offrent alors dans leur élégance surannée sous la douceur d’un soleil de fin de journée qui évoque l’image d’un sud rêvé aux accents d’Espagne et d’Italie. Le rose de la brique montalbanaise vient se conjuguer à la verdure partout présente et trouve un accord avec des constructions d’époques, de facture, de fonctions et d’état de conservation très variés, à travers la lumière chaleureuse des lieux. Les couleurs éclatent comme la végétation qui se déploie jusque sur les murs d’une ancienne biscuiterie peu à peu recouverte par un lierre, la façade du Stock américain abandonné devient une composition picturale allant du rose saumon du crépi au vert du store de la boutique, en passant par des couleurs aussi variées que l’orange de la brique, le gris bleu des volets ou le jaune délavé de la porte d’entrée. On peut y lire les couches successives de l’enduit rose, le blanc passé et dégradé des rideaux déchirés jusqu’au noir, sur un panneau de bois clair, l’usure du temps, comme autant de nuances picturales qui viennent aussi raconter l’histoire de l’immeuble. La brique de l’église Saint-Orens s’offre dans des notes subtiles de rose et de feu, tandis que le monument à Ingres lui oppose les teintes vert sombre de sa patine. Le monument aux morts de Bourdelle tranche par une blancheur éclatante, presqu’irréelle, qui découpe sa haute et majestueuse silhouette sur le vert lumineux du jardin éclairé par un ciel aux nuages qu’on croirait sortis de chez Vermeer, et contraste avec les tonalités blanc sale d’une caravanne entreposée dans une allée et le bois décrépit d’une maison qui semble abandonnée.
Entre deux images d’architecture, deux bancs vides au bord du Tarn, qui invitent au repos, une allée du Jardin des plantes, un haut-parleur fixé à un arbre du cours Foucault, viennent dessiner autant de lieux propices à la promenade, à la rêverie et au passage. Chaque image porte les marques du temps qui passe, celles des souvenirs imprécis qui reviennent puis s’effacent, mais aussi, comme un parfum de réminiscence, celles de l’histoire des hommes, de la mémoire qui appartient à d’autres, mais qui reste debout devant et pour nous, dans la douceur de la lumière de fin de journée. Une lumière qui vient caresser une architecture dont l’abandon fait aussi la beauté, où l’on ressent la douceur de vivre, la grâce de l’instant présent, comme un souffle, un instant de simplicité et de bonheur terrestre qu’on voudrait pouvoir retenir et qui s’enfuit déjà. Suspendre le vol du temps, capter les couleurs de la brique au soleil, le vert éclatant du printemps, la patine du temps qui poétise des lieux chargés d’histoire(s), mais encore donner à voir sinon à sentir l’esprit des lieux, voilà ce que propose cette série d’images qui renvoie autant à la ville elle-même qu’à des impressions d’ailleurs, mêlant les réminiscences de la mémoire individuelle aux traces de la mémoire collective, le bien individuel au bien commun, nos histoires personnelles à notre patrimoine”. Ariane Chopard-Guillaumot
« Printed Memories », Sudio Marlot & Chopard, galerie Jérôme Pauchant, 61, rue Notre Dame de Nazareth, 75003 Paris. Jusqu’au 6 décembre. « The Valley », Musée de la Reine Bérengère, Le Mans. Jusqu’au 5 janvier.
Marlot & Chopard, Calais, Musée des Beaux-Arts. Du 08/03 au 27/05/14.
Hitchcock & Co, FRAC Haute-Normandie hors les murs, Médiathèque Le Corbusier, Val-de-Reuil , du 19/10/2013 au 23/11/2013.