Merveilleux Mark Brusse qui intitule son exposition « Heureusement l’art n’est pas raisonnable » en vous accueillant à l’entrée de l’exposition du Laac de Dunkerque avec « la Chambre d’amour » ! Pour cette rétrospective, quatre vingt œuvres ont été réunies qui dévoilent les axes fondamentaux du travail de l’artiste des années soixante à aujourd’hui. De l’art minimal aux collages en passant par les objets de récupération. La cerise sur le gâteau ? Les estampes de l’artiste au musée du Dessin et de l’Estampe originale de Gravelines, à quelques enjambées du Laac.

« Dans cette exposition, l’œuvre de Mark Brusse est divisée en trois grandes séquences. L’une par rapport à l’espace, la deuxième par rapport au bricolage, la troisième par le rapport à la narration et l’onirisme. Et en dernière partie, nous trouvons ses collages. Quelques œuvres viennent également s’inscrire dans l’espace comme « La chambre d’amour ». Enfin, l’artiste est allé dans les réserves pour choisir les œuvres qu’il avait envie de présenter dans plus de trois salles d’exposition des collections.

Pour la première fois et définitivement cette fois, l’exposition commence par la première salle sur la droite en haut de l’escalier. Le but trouvé par Mark Brusse ? Pouvoir nouer dès le départ un dialogue avec la collection qui se poursuit dans les salles précédentes. C’est un travail de relation de proximité. », explique Aude Cordonnier, conservateur en chef des musées de Dunkerque.

Dans l’exposition, le visiteur tombe tout d’abord sur l’œuvre intitulée « Strange fruit » qui se construit dans un rapport de volume simple et d’une relation à la réalité grâce à la chanson de Billie Holiday d’où provient le titre : « c’était le fruit étrange, le noir pendu dans les arbres, explique Mark Brusse. C’est en quelque sorte une provocation d’utiliser le titre de cette chanson pour quelque chose de plutôt gaie, d’érotique. Le but est de dérouter un peu le spectateur. C’est aussi dans mon œuvre la première pièce où la couleur joue un rôle ». Et il poursuit : « Dans ce travail, j’ai essayé de savoir jusqu’où je pouvais pousser l’émotion. Je voulais revenir à la forme et la couleur comme accents. Alors que dans les pièces de la série « Natural Wood » des années soixante qui l’entourent, dans cette première salle, je désirais, avec du bois naturel, occuper l’espace et remplir un cadre avec un volume. Après j’ai pu développer cette idée « d’occupation de l’espace » et j’ai pu remplir une salle du Stedelijk Museum d’Amsterdam avec son propre volume. On ne pouvait donc plus rentrer dans les salles…C’était après un séjour de deux ans à New York. Revenu en Hollande en 1968, j’ai été étonné par les couleurs des portes d’Amsterdam qui révélaient des tons très intéressants, « entre deux ». Et je me suis adapté à cet environnement. Ces couleurs vertes, bleues… sont des teintes que l’on trouve dans les plafonds, les portes d’entrées… dans toutes les constructions en bois du 17èmesiècle. Je le répète, chaque interprétation d’une œuvre est la bonne. Ici, il est vrai que la sensation de tension s’exprime fortement. Même si mon travail n’a rien à voir, Brancusi, par exemple, était le sculpteur qui me fascinait. Ici, il s’agit plutôt de montrer un morceau de bois, de le délimiter au sol.

J’ai développé par la suite le travail avec le bois automatiquement. Mais je suis revenu à l’objet de manière beaucoup plus intime dans les années 70, comme on le voit ici dans la deuxième salle d’exposition. Je suis passé à une phase où je détournais les objets comme les plumes, les papillons…. Ici, vous trouvez une plume autour de laquelle j’ai réalisé tout un écrin. Elle en apparaît magnifiée. Je concentre ainsi le regard sur un certain nombre d’objets que je sors de leur contexte. J’ai voulu montrer un équilibre parfait qui repose sur un équilibre toujours instable. J’ai voulu montrer ma propre maladresse face à la perfection du papillon. Pour la pièce avec le sabot, je m’en souviens encore, j’ai trouvé ce sabot au Kremlin Bicêtre à Paris. Je l’ai redécouvert comme un objet alors que je portais des sabots étant petit. C’est une pièce très sensuelle. Elle a été exposée pour la première fois à Paris, rue Guénégaud. Le jour du vernissage la femme du peintre Degottex qui était présente avec son mari, lui a dit : « regarde comme il est beau ce jeune homme qui traverse le pont », en regardant mon œuvre ! J’étais très impressionné car « c’était cela ». Cette œuvre s’appelle « Hésitation ». La fragilité de l’ensemble tend vers un univers toujours plus libre et onirique.

Ensuite, lors de mon voyage en Asie, j’ai redécouvert des symboles archaïques. Et l’utilisation de certains animaux comme les tortues, des matériaux comme la pierre… qui sont des éléments très chargés. Cela a été ma « mythologie personnelle » que l’on trouve dans la troisième salle. Puis j’ai commencé à faire des collages à l’époque où je n’avais plus d’atelier, dans les années 80. J’habitais la Ruche à Paris. Je récupérais des papiers venant du marché. J’ai vraiment pris le goût de travailler avec ces matériaux tellement pauvres qui ont vécu. Et quelques années plus tard, au Japon, j’ai vu la folie des japonais de tout emballer, les papiers étaient tellement beaux ! J’ai travaillé alors beaucoup avec beaucoup de papiers dont je ne connaissais absolument pas l’utilisation. Comme des annonces de décès ! Et personnes n’osaient me l’expliquer ! En tout innocence j’ai fait gaffe sur gaffe au Japon ! “

Propos recueillis par Anne Kerner le 18 mars 2010 au LAAC de Dunkerque.

« Mark Brusse. Heureusement l’art n’est pas raisonnable », Laac, 59140 Dunkerque. 03 28 29 56 00. www.ville-dunkerque.fr; Musée du Dessin et de l’Estampe originale, Château Arsenal 59820 Gravelines. 03 28 51 81 00. boutique.musée@ville-gravelines.fr Du 07/03/10 au 19/09/10.

Courtesy Mark Brusse, ADAGP, Paris, 2010. Ci-dessus, La chambre d’amour, photo Anne Kerner; Autorisation de Mark Brusse pour la diffusion des images prises par Anne Kerner. Photo de l’exposition Bertrand Huet