L’artiste multimédia Yazid Oulab, envahit le nouvel espace de la galerie Eric Dupont avec autant d’élégance que de spiritualité. Sélectionné par Ouvertesyeux l’an passé pour le salon du dessin contemporain Drawing Now Paris, il explique dans l’interview ci-dessous l’importance du dessin dans son oeuvre.
Anne Kerner : Vous créez des sculptures, des installations, des vidéos, comment apparaît le dessin au milieu de votre travail ?
Yazid Oulab : Le dessin est le squelette de la forme créatrice. Il apparaît comme le premier jet d’un projet. Son esquisse. C’est la ligne qui a le plus d’importance dans mon travail.
A.K. : Vous venez d’Algérie ?
Y.O. : Je viens d’Algérie où l’image plastique est peu utilisée. L’histoire de mon pays est du côté de la littérature et de la poésie. C’est donc plus une histoire du verbe que de l’image. Par contre, en Algérie, l’écriture révèle une forme de dessin, ce qui devient très important pour mon travail. J’essaie ainsi de raccrocher ma pratique de plasticien algérien à une démarche artistique universelle.
A.K. : Quels matériaux utilisez-vous ?
Y.O. : J’essaie d’exécuter mes réflexions avec le fusain, l’encre, la plume, le crayon etc…
A.K. : Vous-vous intéressez au geste dans votre travail ?
Y.O. : Je m’intéresse effectivement particulièrement au geste. Par exemple, lors de ma résidence à l’Atelier Calder en 2009, j’ai réalisé des dessins à l’aide de fil de cordage de maçon. Je m’intéresse encore au geste dans le dessin intitulé « Tailler la montagne ». Dans ce cas, j’ai utilisé le fusain sur du papier mais je l’ai écrasé à l’aide d’un marteau pour que celui-ci laisse des traces. J’utilise donc tous les gestes de l’artisan que je sublime dans une pratique artistique. Ceci paraît très important pour moi car toutes les matières sont des œuvres spirituelles en elles-mêmes.
A.K. : Vous interrogez également votre histoire religieuse ?
Y.O. : Je revisite l’histoire de l’image dans le monde musulman. Par exemple, la miniature a toujours été au service du texte. Jusqu’à présent, aucun artiste arabe n’a réfléchit à cette esthétique dans l’art contemporain.
Par exemple dans l’œuvre intitulée « Résonances », (2006-2007), j’ai repris l’attitude de l’ouvrier en dessinant de petits personnages à la loupe. Ils prenaient des airs de taches. En fait, ils sont comme des maîtres spirituels qui communiquent ensemble. J’ai réalisé ce dessin à partir des nœuds du bois. L’idée du nœud du bois et de ces petits personnages qui se retrouvent habiter comme dans des grottes à cause des stries du bois « résonne ». Cette esthétique vient directement de l’influence de la miniature.
Dans l’œuvre intitulée « Constellations », j’ai encore dessiné de petits personnages en résonance. Je désirai que tous ces personnages rayonnent, que chacun d’entre eux soit comme un maître spirituel, comme une étoile. « Constellation » se rapporte à la mythologie, Hercule, etc…C’est un travail très minutieux qui relève de l’orfèvrerie. Dans d’autres œuvres j’ai également utilisé le fil barbelé pour écrire des phrases… En général, dans mes dessins, mes personnages deviennent un territoire. C’est comme un texte. J’essaie de raconter des histoires avec des lignes, des courbes et des cercles. La poésie se dessine avec les instruments de l’écriture.
A.K. : Qu’est ce qui est le plus important dans votre démarche ?
Y.O. : Dans mon travail, tout est lié. En 2001, j’ai réfléchi sur Cézanne et sa célèbre phrase : « La nature est formée de cylindres, de cônes et de sphères ». Du coup, je les ai mis en mouvement.
Dans le Coran, il y a quatre versets qui commencent par trois lettres. On peut comprendre toutes les formes universelles dans le monde grâce à ces trois lettres. Avec Cézanne et le Coran, par exemple, je crée un lien entre l’Orient et l’Occident.
De même, le clou que j’utilise beaucoup dans mon œuvre vient aussi de l’écriture cunéiforme. Dans ma culture, la première lettre est une ligne droite avec un chapeau, un cône. Toute l’histoire de l’art moderne semble donc accrochée à un clou.
A. K. : Montrez-vous des dessins dans toutes vos expositions ?
Y.O. : Oui, il y a toujours des dessins dans mes expositions. Une exposition ne tient debout que grâce au dessin. Car un dessin est vrai. La ligne apparaît comme la fondation de l’art, la projection de la pensée qui ne peut être révélée que par le dessin. Il faut savoir que la ligne est une respiration. Elle est accompagnée par le souffle. Les soufis disent que lorsque l’être humain naît, il prend la respiration. Quand il meurt, il restitue ce geste. Dessiner c’est restituer cette respiration avec une trace.
Interview réalisée par Anne Kerner, mars 2011.
Yazid Oulab, Galerie Eric Dupont, 13, rue Chapon, 75003 Paris, 33 (0)1 44 54 04 14.
Images courtesy galerie Eric Dupont Paris