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Depuis une quinzaine d’année, Christelle Familiari aime nous prendre par surprise. Depuis ses « Cagoules pour amoureux » ou ses « Bras pour danser le slow », elle multiplie les pratiques comme la vidéo, le collage, la performance et la sculpture sur un mode ludique, intimiste et sensuel. Centré sur sa relation à l’autre, son travail s’émancipe peu à peu tout en gardant un contact intime avec le spectateur. Dans des œuvres merveilleusement subtiles et discrètes mais tellement fortes et audacieuses, elle se concentre sur le geste et la matière. Sans cesse la voilà qui caresse, manipule, tord, assemble, presse, palpe, Et pénètre l’univers mystérieux de l’ « entre ». L’artiste crée des objets qui s’échouent magnifiquement entre la rigidité et la mollesse, la rapidité et la lenteur, la simplicité et l’enchevêtrement. Ici rien n’est figé. « Il y a toujours quelque chose d’imprévu entre moi et mes sculptures et entre le spectateur et les sculptures ». Ici, c’est le corps qui est en jeux, la main qui construit et déconstruit pour mieux reconstruire. Toujours comme avec une infinie douceur.

A.K. :Votre travail en appelle au geste et au corps. Depuis une dizaine d’année ce rapport s’est modifié ?

CH.F. : Il y a dix ans, avec les cagoules, les objets en laine, je réalisais de nombreuses performances. Je faisais des liens avec mon corps et j’axais mon travail sur la relation à l’autre. Petit à petit je me suis éloignée des performances. Et désormais, dans tout mon travail, c’est la sculpture qui est importante. Elle est apparue en fait pour un moment dans les performances, puis après mes œuvres sont devenues des sculptures que je mettais sur moi comme des camouflages, pour devenir enfin de « véritables » sculptures. Petit à petit, la relation à l’autre diminue pour laisser place à la naissance d’un objet sculptural.. Mais reste toujours l’histoire du corps, du geste, d’un geste qui se multiplie et devient comme dans cette œuvre, « Attraction » qui date de 2003, exposée au FRAC des Pays de Loire. Cette oeuivre m’a pris plusieurs années, c’est une sorte de paysage au sol : il s’agit de fil de fer gainé blanc que j’entrelace à la main. Elle fait 300 m2 au sol et devient une sorte de paysage autour duquel le spectateur fait une grande promenade. On a l’impression que le fil de fer devient de la dentelle mais lorsque l’on se rapproche ou si l’on touche, on se rend compte de la force du matériau.

A.K. :Quelle impression voulez vous donner au visiteur ?

CH. F. : J’aimerai qu’il ne sache plus du tout devant quelle matière il est et j’aimerai créer une sorte de paysage qui le renvoie dans un autre univers. De plus, tout mon travail petit à petit devient noir et blanc car pour moi c’est une manière d’ouvrir l’imagination, de faire entrer le spectateur dans l’ordre de la rêverie. Je désire ouvrir de plus en plus de portes au spectateur.

A. K. : Comment travaillez-vous la vidéo ?

CH. F. : Par exemple, dans mon travail réalisé pour Tarbes en 2006, j’ai conçu trois vidéos. J’ai réalisé le « Tourniquet », le « Banc » et le « Passage ». Je me mets en scène avec toujours le même accessoire, une jupe péruvienne. Je suis dans un espace public, sur un banc, ailleurs je cours dans un passage… Sans cesse je reprend techniquement ces images une par une, je filme, puis je déconstruit toute la vidéo image par image, je vais sur photoshop et j’enlève tous les éléments qui ne me plaisent pas pour donner quelque chose de plus graphique. Je construit pour déconstruire et tout reconstruire. J’aime l’histoire de cette figure dans l’espace de projection. On n’en sait plus la dimension… Il y a un coté burlesque aussi. Et quelque chose qui relève de l’organique, de l’animal… J’ai passé un an à la Villa Médicis hors les murs à Berlin et cela m’a aidé à utiliser des éléments urbains, à travailler dans l’espace public.

A.K. : Encore dans un autre registre, vous avez réalisé des collages ?

CH. F. : J’ai réalisé des collages à partir de magazines de mode. C’est très simple, découper, coller, et créer un autre corps, jouer sur la torsion, une sorte de chimère. Jouer avec le tissu et la matière. Cela peut devenir des sculptures. Comme pour un collage réalisé pour l’espace Ricard qui a été ensuite crée en volume. J’ai essayé d’imaginer ce qui se passait derrière.

A.K. : A Rennes, en 2008, vous avez crée encore un autre genre d’œuvre…

CH. F. : Pour la Criée, j’ai réalisé des « Flasques », des vases en céramiques que j’ai monté en colombin. J’ai été attentive à la réaction de la matière. J’ai été à l’écoute de la forme et de sa propre fabrication. J’aimais cette histoire de va et vient, être à l’écoute de ce que l’on est en train de faire. Etre à l’écoute de la forme qui se crée.
Dans ce lieu, j’ai disposé toutes les flasques au sol pour crée une composition dans l’espace. J’ai ensuite posé des plaques d’argile au sol que j’ai mis sous les volumes. Ensuite, nous avons attendu trois semaines pour que le sol sèche. Enfin, au vernissage, les gens pouvaient marcher sur le sol. Celui-ci s’effritait alors selon les pas des gens. C’est encore comme une sorte de performance ou le spectateur est acteur de la métamorphose de l’exposition. Il y a eu des photographies prises dans ces différentes étapes de l’œuvre. Petit à petit le sol est devenu une sorte de désert et les sculptures apparaissaient de plus en plus. Pour moi ce n’est pas du tout une destruction mais une métamorphose. J’avais envie que les gens se rendent comptent de l’action qu’ils peuvent réaliser avec leur corps, leur geste. A Castres, au Centre d’art le L.A.I.T., la même année, dans des salles aux allures de salons bourgeois, j’avais envie de montrer les « Flasques » différemment. Je désirais aussi réactiver le lieu ou j’exposais. J’ai donc mis les flaques sur des planches à roulette peintes en blanc. C’était comme des assemblages, une regroupement, une grande famille de sculptures, des personnages qui peuvent bouger. Je voulais offrir aux œuvres une possibilité de déplacement.

A.K. : Dans votre toute dernière et récente exposition à la chapelle du Généteil, vous avez montré de nombreuses œuvres de toutes les matières…

CH. F. : J’ai travaillé un an sur ce projet. Je me rendais dans le lieu une semaine par mois pour m’en imprégner. Au sol de la chapelle qui fait 300m2, j’ai posé des plaques de méthane. Le spectateur pouvait circuler tout autour. J’ai crée un cheminement, un lieu de découverte. Du plafond suspendaient sept lustres à différentes hauteurs réalisant frontalement une sorte d’arcade. Je voulais crée un dynamisme par rapport au lieu, une sorte de boomerang qui amène le spectateur vraiment au fond de la chapelle. J’aime comme dans toutes mes expositions que les gens puissent déambuler, se rapprocher des œuvres, se pencher, tourner autour… Dans cette exposition il y a de nombreuses œuvres différentes. Je voulais crée un sentiment d’équilibre et de tension en même temps. Il y a donc les lustres composés chacun de pièces uniques qui viennent s’encastrer les unes dans les autres. Ils symbolisent cet enchevêtrement et cet enlacement qui se trouve tout au long de mon travail. On trouve aussi une table composée d’un assemblage de trombones reposant eux-mêmes sur deux trombones géants ou un tissus de porcelaine qui tendent volontairement vers le design. On trouve des collages que j’ai mis en forme, en volume, qui sont comme des sculptures fantasmées. Ailleurs je montre encore une très vielle pièce qui s’appelle « Je goutte ». Il s’agit d’étain fondu qui forme des petites gouttes, et les unes à côté des autres, elles créent une plaque à chaque fois différente. C’est une œuvre qui parle du changement d’état… Plus loin se trouve une pièce dont le tissus a été trempé dans le ciment et qui semble tenir par un fil brillant où s’accroche une pierre de marbre. C’est un rapport de force. On ne sait pas qui tient l’autre. C’est un sentiment d’équilibre, de tension, on ne sait pas trop. Ailleurs encore, cette œuvre est faite de bandes plâtrées et à chaque jour où il n’y a pas de plâtre, j’ai inséré une aiguille. C’est comme un hérisson… J’avais envie dans cette exposition de raconter des histoires et de montrer en même temps les différents temps du geste.

A.K. : Votre toute nouvelle exposition couvre en fait trois lieux ?

CH. F. : La galerie Benoit Lecarpentier, l’atelier de Fabrice Hyber et L’espace d’en bas.

Dans le premier, je vais réaliser une sorte de grande table ou je mettrai des petites sculptures, de petits assemblages. J’installerai aussi quelques sculptures sur des étagères qui seront plus frontales. Dans cet univers en noir et blanc, il y aura aussi trois lustres « Méduses » dans la longueur et de différentes hauteurs pour donner de la perspective. Pour L’espace d’en bas, je vais présenter des sculptures plus grandes et les concentrer au milieu de l’espace. L’élément central sera un paravent réalisé rien qu’avec des trombones. J’y ajouterai aussi un « Tréteau trombone ». Chez Fabrice Hyber, je réaliserai de nouvelles pièces. Le spectateur va tout de même retrouver les planches en bois à roulettes. Je vais crée des sculptures plus colorées…je vais essayer d’ouvrir cette porte là…jouer avec les vibrations. On va également se baisser, regarder… Il y aura une vingtaine de pièces de différentes matières, Je vais d’ailleurs utiliser le lieu comme un atelier pour mieux m’en imprégner. J’aime ce temps d’expérimentation.

Interview réalisé le 21/07/2010 par Anne Kerner

« Christelle Familiari. Idéal », Galerie Benoit Lecarpentier, 16, rue Cafarelli, 75003 Paris. 09 63 57 24 41. www.benoitlecarpentier.com. Du 14/09/10 au 30/10/10. L’espace d’en bas, 2, rue Bleue, 75009 Paris. 09 62 24 66 14. www.warmgrey.fr. Du 20/09/10 au 29/10/10. Atelier Fabrice Hyber, 59, rue de l’Aqueduc, 75010 Paris. 01 46 07 89 14. Du 13/09/10 au 30/10/10. Voir le site de Christelle Familiari : www.christellefamiliari.com

Image, Christelle Familiari, Lustre Méduse,  Photo Marc Dommage, courtesy Christelle Familiari, ADAGP 2011.