Jean-Michel Fauquet est un artiste rare. Dans son atelier parisien, il crée dans la nuit une oeuvre merveilleuse et métaphysique nourrie par tout ce que l’écrit et l’art peuvent apporter de “miraculeux”. Juste avant de monter son exposition en Arles, il nous a reçu pour nous la présenter. Après son exposition à la MEP à Paris, l’an passé, il expose pour la deuxième année, ses dernières oeuvres à la galerie Claude Bernard.
Au cinquième étage la porte s’ouvre. Le sourire comme l’appréhension se lisent sur son visage. Attendre un visiteur… Qui va venir ? Qui introduire dans le secret de l’atelier ? Jean-Michel Fauquet apparaît comme un être extrêmement rare à l’univers fragile, si fragile qu’il ne faut surtout rien ébranler. Juste oser frôler. Juste oser caresser des yeux l’innommable beauté d’un lieu hors du temps où se joue une création unique et magnifique. A la lumière du ciel, son univers se présente comme mélancolique. Mystérieux. Presque impénétrable. Que se passe t-il ici ? Quels sont ces objets de carton noirs accrochés au plafond ? Que fait l’artiste avec tous ces instruments, pinceaux, crayons, scotchs de toutes sortes savamment organisés sur la table où tout un chantier et une vie semblent souvent s’animer?
Du thé à la menthe servi avec du miel sur la table basse pour échanger les effluves. Pour se concentrer, trouver ses marques. S’apaiser. Et mieux savoir regarder. Oui, savoir regarder autour de soi et essayer de comprendre, au moins tenter. Voir, sentir, ressentir. Capter les ondes. Les sources, les mondes, les états… Jean-Michel Fauquet aime Maurice Blanchot, Henri Michaux, Jacques Dupin, Cy Twombly, Sally Man… Joel Peter Witkin et Christian Boltanski l’ont un jour secoué et donné une direction, une chemin à suivre. Sa famille est intellectuelle, exigeante, extrême. Elle quête l’exceptionnel. Cette Vie au delà de la vie que promet l’art au-delà de toute croyance. Elle recherche encore la Vie dans les plis, les Connaissances par les gouffres, les Jardins exaltés…
Jean-Michel Fauquet offre un merveilleux voyage. Un voyage qu’il prépare longuement avec patience et amour. C’est la nuit qu’il travaille. C’est avec et dans la nuit qu’il oeuvre. Dans son quartier parisien, il ramasse, cherche sa matière première, les cartons amassés au bord des boutiques qu’il monte à l’atelier pour les couper, les découper, les reconstituer, les assembler, les conjuguer… Et enfin en faire des objets fous aux formes à la fois si simples et si compliquées. Ce travail long et méticuleux se poursuit par celui de la peinture. Les objets s’obsurcissent. Le noir les enveloppent. Ils deviennent fantômes dans la nuit.
Dans l’atelier clos tout se joue alors. La mise en regard, en abîme de son théâtre qu’il photographie au minimal. Avec juste la chambre noire pour la délicatesse et la profondeur.
Les Rencontres d’Arles dévoilent cette oeuvre si troublante et si exigeante. Et le visiteur ne peut sortir indemne de cet univers réinventé où toutes les puissances vitales sont convoquées. Où tous nos sens bousculent, basculent dans ces moments, ces traversées du temps. Anne Kerner.
Texte de Jean-Michel Fauquet
“Les érudits de la Renaissance, améliorant la méthode préconisée par Saint Thomas d’Aquin aux lecteurs afin d’enrichir leur capacité de mémoire,suggérèrent la construction mentale de modèles architecturaux, palais, théâtres, etc., dans lesquels loger ce dont on souhaite se souvenir. Ils recommandaient d’accorder à ces choses de l’esprit un traitement affectueux et de les transformer en « similitudes inhabituelles » qui les rendraient faciles à visualiser et à mémoriser.
Ce travail rassemble les éléments d’une mémoire « photobiographique ». Il s’est agi d’élaborer ces fameuses « similitudes inhabituelles » jalonnant le cheminement d’une mémoire qui remonte à la nuit des temps, en procédant par phases successives et à l’aide de matériaux d’une extrême précarité. La construction de ces figures, sortes d’appeaux de la mémoire, suscite un récit dans l’esprit de celui qui regarde, aide à fixer le souvenir d’événements fondateurs en un sentiment de déjà vu, de déjà vécu.
Le Grand Séparateur indique la distance qu’il est nécessaire d’établir avec le sujet afin qu’il nous apparaisse dans sa plus grande justesse en ouvrant le champ libre de notre propre mémoire. Constitué de trois éléments placés au centre de cette topographie mémorielle, il fait le lien entre ces différents récits et installe un régime de zones d’affection et de tensions, selon le point de vue du spectateur, en le soumettant à l’épreuve d’une question.
Arrêté dans son mouvement pendulaire, il fixe très précisément, à l’endroit de sa verticalité, le point d’intersection entre le temps de la mémoire horizontale, le temps vertical, et détermine alors l’instant photographique.”
Jean-Michel Fauquet, galerie Claude Bernard, 5, rue des Beaux Arts, 75006 Paris.
Du 13/10 au 27/12/14.
Jean-Michel Fauquet, Paris, Maison Européenne de la Photographie, du 26/03 au 25/05/14.
Galerie Conrads, walter conrads/helga weckop-conrads, linenstr. 167, 40233 Duesseldorf. Allemagne.
Du 18/01 au 01/03/14.
A voir et à lire, DVD sur Jean-Michel Fauquet avec la publication du film d’Anne Kerner pour Ouvretesyeux, éditions de l’Oeil.
(Images courtesy Jean-Michel Fauquet)