La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter Black Light, la première exposition en France de Lu Chao, artiste chinois basé à Londres. Utilisant presque exclusivement le blanc et le noir, Lu Chao crée l’illusion de mondes pluriels et infinis, exprimant sa virtuosité au travers d’une puissante bichromie.
« Quand j’étais enfant, je prenais tous les jours le bus 217 pour aller a l’école. Étant tout petit, je me faisais écraser par la foule de grandes personnes qui me poussaient et il était souvent difficile de monter et de descendre. Ce genre de souvenir me revient souvent très clairement à l’esprit. De ce fait, j’ai toujours été très sensible aux foules de gens qui se bousculent, ces images de foule où la dépression, la vulnérabilité et l’impuissance m’ont toujours accompagné en grandissant. Dans le même temps, j’ai toujours aimé observer chaque personne essayant de s’insérer dans ces foules car je savais pertinemment que j’étais l’un d’eux, et regarder chacun de leur visage était semblable à me regarder moi-même. J’ai toujours pensé que chaque visage pouvait raconter une histoire, l’histoire d’une expérience récente ou encore un événement sur le point de se produire. Tous les personnages de mes peintures sont une réponse à chaque inconnu que j’ai croisé lors de mon existence. J’observe, tout en faisant des conjectures sur chacune de ces personnes que je rencontre. Bien que je veuille exprimer le poids et l’incertitude de la vie, j’ai toujours pensé que ce qui en constitue la partie la plus ardue, est aussi la plus merveilleuse. On pourrait considérer ce sentiment contraignant, voire désespérant. En réalité, il me remplit d’une infatigable curiosité pour l’avenir, et tout comme l’on admire la beauté du soleil illuminant une forêt luxuriante, une beauté plus mystérieuse émane aussi des zones restées dans l’ombre, car elles sont emplies d’une lumière noire comme le jais. »
Lu Chao, Mars 2016
C’est avec sa série sur les «foules» – dont les travaux les plus récents sont présentés dans l’exposition – que Lu Chao s’est fait connaître. L’artiste fait apparaître, en quelques coups de pinceaux concis, un large cercle noir ou un gâteau dans lesquels s’amasse un essaim de personnages, portant sa réflexion sur la relation qui lie l’homme à son environnement, considération qu’il place au coeur de ses compositions.
Dans ses premières peintures, les personnages de Lu Chao semblaient déjà vouloir disparaître, comme annihilés par le poids de la collectivité. Les contradictions manifestées dans son travail déconcertent – la disparition et la présence, la solitude et la communauté, la désorientation et la direction – mais sont profondément ancrées dans la spiritualité zen traditionnelle. De fait, la philosophie chinoise a toujours fait une distinction nette entre les notions de vide et de néant : « Le vide ne signifie pas rien. Il signifie même tout, mais nous ne pouvons pas le voir », explique l’artiste. Par analogie, le plein ne signifie pas nécessairement la présence de quelque chose ; il suffit seulement de penser à ceux qui sont dévorés par la quête incessante d’un futur commun à toute l’humanité, ou à ceux que l’Histoire a précipité dans l’oubli.
Ce regard particulier sur le pouvoir des foules émane de l’expérience personnelle de l’artiste, dans les transports en commun alors qu’il était enfant en Chine. Après son installation à Londres, il recentre son travail autour d’une analyse de l’individu au sein de la foule, de l’humain dans le collectif. Le récent corpus d’œuvres présentées dans l’exposition Black Light témoigne de ces nouvelles préoccupations. Un regard attentif porté à chacun de ces personnage, révèle que les individus de cette masse semblent à présent refuser la possibilité d’une disparition. L’artiste oeuvre cependant à créer un climat d’ambivalence et de tension dans son travail, en se jouant des notions de présence-disparition et de soumission-rébellion. Lu Chao ne donnera pas davantage de clés au spectateur sur son oeuvre, pour favoriser la perception et l’interprétation personnelle qu’il pourra en faire.
Cette exposition, la première en France pour l’artiste, est l’occasion d’une véritable découverte : les peintures de Lu Chao déconcertent et prennent leur distance avec la série des «foules». Profond admirateur de la pensée traditionnelle chinoise et de ses peintres parmi lesquels figurent à son panthéon Mu Xi, Ma Yuan et Xia Gui, Lu Chao trouve aussi un système de références dans la philosophie occidentale et dans le travail des maîtres de la peinture européenne, comme Rembrandt.
La série Black Mirrors (2015) puise notamment son inspiration dans les formes esthétiques de l’art décoratif européen. Certains des paysages de l’artiste chinois, comme Spot Light with Branch (2015) et Elsewhere no 3 (2015), nous plongent dans le romantisme et l’expressionnisme de la Forêt Noire allemande, tandis que la série Suspension (2015-2016) évoque un état de quiétude totale, dans lequel l’individu et le motif flottent dans une lumière de premier jour. Ses travaux convoquent également le modernisme, notamment avec Try to Draw Two Same Face (2015) aux réminiscences pop, et Shell (2013) et Man on Wire (2015) qui citent les maîtres de l’expressionnisme abstrait, parmi lesquels Jackson Pollock et Franz Kline.
Singulières compositions aux influences orientales et occidentales, l’oeuvre de Lu Chao est aussi une complexe association d’éléments historiques et traditionnels avec des composantes contemporaines. L’artiste observe ces rapprochements se faire, sans qu’il n’y contribue par un quelconque calcul esthétique.
Black Light vise à déconstruire la lecture stéréotypée que l’on peut faire d’un artiste étranger et de son attachement à sa culture d’origine comme systématisme de travail. Elle témoigne plutôt de la naissance d’une nouvelle génération qui expérimente le “global”, comme notion regroupant simultanément l’idée d’une temporalité commune et celle d’espace collectif – de la multitude et de la profusion. C’est cette jeune garde qui, selon les mots du célèbre peintre réaliste chinois et professeur de Lu Chao, Liu Xiaodong, ouvre dans l’art contemporain une voie inédite davantage “sophistiquée et libérée”.
Damien Zhang
Lu Chao, Paris, galerie Nathalie Obadia
du 14/04 au 21/05/2016