A l’occasion de l’année France-Corée 2015-2016, le Musée poursuit son ouverture sur la scène artistique coréenne et accueille deux expositions temporaires consacrées à Lee Kang So et Choi Byung So.
Choi Byung-So, Untiteld, 2009,, Papier, stylo à bille, 54.3 x 77.8cm, Courtesy de l’artiste et de la galerie Wooson
Choi Byung-So
“Refaire le monde à son compte c’est bien ce à quoi Choi s’emploie avec ses dessins ou ses installations, ce qu’il nomme ses « ready-made objet » that linked life to art, daily life to art, and reality to the fine art.
En s’emparant d’un crayon à mine de plomb ou d’un stylo à bille noir, Choi Byung-So se dote d’instruments plus rudes que le pinceau. La mine est plus offensive que les poils de la brosse. Le maniement du pinceau et ceux du crayon et du stylo relèvent de gestualités bien distinctes. Sur le papier, traditionnellement, les poils du pinceau effleurent. La griffure relève du registre du crayon et du stylo. Cette griffure, certains artistes européens24 l’ont adoptée après-guerre pour signifier leur difficulté à travailler après Auschwitz et Hiroshima. Mais la gestuelle de Choi est volontairement différente de celle d’un Michaux qui laisse courir sa ligne pour faire surgir « un dessin comme désireux de rentrer en lui-même. » Chez Choi, la ligne ne vagabonde pas. Elle n’a aucune liberté. Elle se plie au geste répétitif et rageur de la mine sur le papier. Si chez Choi Byung-So et Park Seo-Bo se retrouve la constance de la sublimation de la répétition du geste bouddhique, le rapprochement s’arrête là. Park Seo-Bo crée « une encyclopédie des gestes et des travaux monotones qui concrétisent notre façon de nous orienter au quotidien et de structurer ces choix ». Tout autre, le processus de Choi s’appuie sur la répétition et la violence de l’attaque de l’étendue à recouvrir qui évoquent une catharsis. Dans son geste se cristallisent maintes forces avec l’âpre volonté de rayer, biffer, faire disparaitre tous les composants de l’écrit. Le support est si violemment agressé au verso, comme parfois au revers, qu’il est tout près de l’évanescence. Mais il se transforme, s’épure, se magnifie. Dépouillé de ce qui le rendait vulnérable et insignifiant, Il échappe à toute temporalité. La mine du stylo provoque l’équivalent d’un feu purificateur. Le papier journal scarifié se tord, se déchire, s’amincit, jusqu’à devenir une mince pellicule. Comme Yves Klein dans ses œuvres ignées, Choi fixe « la présence de l’absence, la marque de la vie qui est énergie diffuse ». Etonnamment, de cet acte sacrificiel, de cet autodafé, surgissent des surfaces vibrionnantes, ni simples ni lissées, des espaces en mouvement. La couleur noire acquiert des veloutés inédits. L’œil y perçoit des effets de touches, l’effet est pictural. Dans la série des dessins présentés au MAMC, sur la surface de deux d’entre eux émerge un mot NOWHERE – nulle part.
Ce qui ne doit pas être comprit dans le sens négatif de la conservation (afin de ne pas être rejeté hors de l’existence par la mort) mais dans le sens positif d’un combat tragique et incessant pour une satisfaction presque hors d’atteinte. Georges Bataille)
Devant ces plages de silence, devant ces mondes inconnus, l’émotion surgit : Choi
« parvient à reprendre et convertir justement en objet visible ce qui sans lui reste enfermé dans la vie séparée de chaque conscience : la vibration des apparences qui est le berceau des choses » (Merleau – Ponty)”
Extrait du texte de Martine Dancer, conservateur du patrimoine, dossier de presse de l’exposition.
Lee Kang-So
La cohérence esthétique à travers la multiplicité des méthodes
Le cadre interprétatif de la peinture de Lee Kang So repose d’une part sur la richesse extrêmement sensuelle, organique et physique de la réalité picturale, avec tous ses récits – cachés – évocateurs, connotatifs, imaginaires et émotionnels, sa touche joyeuse et délicate, la qualité chromatique subtile, élégante, atténuée, presque monochrome et quelque peu mélancolique de la sensation picturale, et d’autre part sur une base structurelle sereine, équilibrée, maîtrisée intellectuellement et construite avec soin, une introspection permanente, une observation analytique de l’autodétermination et de l’auto-organisation picturales.
L’intensité sensuelle de l’aspect matériel de la surface peinte, la fluidité étrange, irritante et énigmatique des formations, le statut sémantique délibérément indéfini et ambivalent des différents éléments picturaux ouvrent les vastes espaces dégagés d’une imagination radicalement libérée à plusieurs récits possibles, qui émergent de l’atmosphère presque hédoniste de l’acte de peindre. La sensualité concrète de la réalité picturale semble l’emporter sur toute autre forme de perception, mais sans limiter la portée de l’aura narrative – avec toutes ses évocations métaphoriques potentielles.
L’œuvre de Lee Kang So recèle une beauté rare et provocatrice, une intensité inouïe de la texture peinte, un foisonnement de sensations matérielles et, en même temps, un questionnement intellectuel sur les compétences et les capacités fondamentales de la peinture contemporaine. En d’autres mots, cet art est le résultat de considérations esthétiques sur l’aptitude à élaborer des métaphores visuelles fertiles, efficaces et suggestives des constellations espace-temps-mouvement, qui symbolisent les réalités humaines et les orientations mentales de base.
L’œuvre picturale de Lee Kang So nous invite à goûter la richesse d’une réalité plastico- visuelle élaborée artistiquement et à prendre part à l’euphorie sensuelle qu’elle suscite. Cela signifie que sa peinture ne propose aucune illusion, aucune imitation d’éléments du monde extérieur à la réalité picturale. Mais elle évoque des récits métaphoriques exprimant des interrogations essentielles et fondamentales sur l’orientation de l’homme dans l’univers. En ce sens, Kim Airyung affirme que Lee Kang So « approche le lieu d’origine de la peinture, là où naissent vérités et illusions. Si ses tableaux détournent les clichés du genre du paysage, ce sont aussi simplement des tableaux, clairs et rafraîchissants. Avec cette série de nouvelles œuvres, Lee met au jour la condition même de la peinture, c’est-à-dire la réflexion sur la perception et la conscience, sur l’imagination et la matière. Ceci pourrait suggérer, en fait, que la perception sensuelle immédiate, joyeuse, décontextualisée et spontanée du phénomène subtil de la peinture serait l’intention ultime de l’artiste. Ces simples « tableaux, clairs et rafraîchissants », transmettent en effet une merveilleuse sensation picturale, suggestive et convaincante. La question est de savoir dans quel cadre le spectateur intériorise cette sensation rafraîchissante, dans quel contexte spirituel, mental et émotionnel il concrétise cette expérience sensuelle si séduisante.
Extrait du texte de Lóránd Hegyi, directeur général du Musée, dossier de presse de l’exposition.
La Corée à Saint-Etienne, Lee kang-so choi byung-so, Musée d’art moderne et contemporain, Saint-Etienne.
Du 05/03 au 16/10/2016