En génial sismographe, dans la virtuosité de son geste, l’artiste arrive à cerner les traits de la mort. Oui, la mort. Ainsi, son oeuvre, toujours, dans sa puissance et sa sensibilité, sa fragilité, frôle le sublime.
Dans les années 90, j’étais allé, à la demande de certains détenus de la prison Saint-Paul à Lyon, animer quelques séances de l’atelier peinture. En 2011, Daniel Siino, qui était à l’origine de ce premier contact, m’annonce que la prison maintenant désaffectée va devenir un campus universitaire et qu’il a suggéré à l’Université catholique, qui a acheté les lieux et va en prendre la direction, de solliciter Georges Rousse, et moi-même afin que nous y intervenions avant les travaux qui entraîneront une transformation radicale. Ernest Pignon-Ernest
«Au plus haut degré d’intensité possible, chaque dessin s’affiche comme le dernier mot de l’homme condamné et invente un alphabet que seule la mort peut lire». Gérard Mordillat a tout dit. Ou presque. En 2012, Ernest Pignon-Ernest intervient dans la prison Saint-Paul de Lyon. Son désir ? «Redonner un visage, honorer ceux qui ont été emprisonnés, torturés, exécutés entre ces murs, par des bourreaux français ou par les nazis. Rappeler aussi tous ces «droits communs» qui y ont souffert, certains jusqu’au suicide». Dans l’incommensurable beauté des dessins de l’artiste, il y a juste l’innommable. Il y a la mémoire, cette «omniscience en toute les consciences» qui taraude au plus intime de l’être et livre la souffrance la plus ignoble et choquante. Criminelle. La main d’Ernest Pignon-Ernest suit les traits des corps exaucés. Elle plonge dans les ténèbres et leur redonne vie. Une vie qui est tout sauf la vie. En génial sismographe, dans la virtuosité de son geste, l’artiste redonne trace et arrive à cerner les traits de la mort. Oui. La mort. Ainsi, son oeuvre, toujours, dans sa puissance et sa sensibilité, sa fragilité, frôle le sublime. C’est donc ce que donne à voir la superbe exposition de l’artiste à la galerie Lelong. Fenêtres obturées, ambiance serrée, secrète, étouffante, Ernest Pignon-Ernest crée dans l’espace une atmosphère digne des oeuvres dévoilées. Montrées à la prison St Paul, l’enjeu et la difficulté étaient de les présenter sur les murs de la galerie. Et c’est terrible et magnifique. Juste prenant, prégnant, fort, juste. Au fond de la salle, quatre corps immenses que l’on devine sous un drap noir. Avec une main et les pieds qui dépassent, qui laissent entrevoir ce corps mort, meurtri, broyé, torturé. Et juste les plis du tissus qui marque la chair, l’enveloppe, le fait exister malgré lui, le ressuscite, le glorifie presque. Saint-suaire d’aujourd’hui qui livre ce misérable miracle de la vie éteinte, figée, anéantie et pose cette question terrible et infernale, inaudible : “Qui je fus” ? Un autre mur se consacre aux “Yoyos”. Ces “bouteilles en plastique qu’avec l’aide de ficelle les détenus tentent de faire passer…. d’une fenêtre à une autre… Messages, café, cigarettes… autant de bouteilles à la mer le plus souvent prises dans les barbelés où elles pendent comme autant d’ex-voto qui n’ont plus rien à espérer.” (E.P-E). Mur où se juxtaposent les cris, les yeux hagards et fous, les râles, les gestes espérés, inespérés, les corps nus de femmes, désirs déments inassouvis, des dessins d’enfants que l’on ne verra jamais plus… Signes, d’envie, de colère, d’amour, de désespoir, de nausée, quand on n’a plus de force, quand on ne sait plus, quand on capitule. En souffrance. Quand la fatigue devient douleur qui devient brûlure qui n’en peut plus d’être soi. Pire. Anéantissement. C’est l’oeuvre d’Ernest Pignon-Ernest dont le geste sonde les âmes oubliées qui aboient dans le noir : “emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi” (H.Michaux). Anne Kerner.
Ernest Pignon-Ernest, galerie Lelong, 13, rue de Téhéran, 75008 Paris. Jusqu’au 25/03/14.
Ernest Pignon-Ernest, Maison des Arts de Malakoff , 105, avenue du 12 février 1934 – 92240 Malakoff. Du 25/01 au 30/03/14.
(Images copyright Ernest Pignon-Ernest, courtesy galerie Lelong, Paris)
Version anglaise
In the 90s , I went at the request of some prison inmates Saint Paul Lyon, animate a few sessions of the paint shop . In 2011 , Daniel Siino , which was at the origin of this first contact, tells me that now disused prison will become a university campus and it was suggested at the Catholic University , which bought the site and goes head , solicit Georges Rousse and myself so that we intervene before the work will result in a radical transformation. Ernest Pignon- Ernest
” At the highest level of intensity possible, each drawing appears as the last word of the condemned man and invented an alphabet that only death can read.” Gérard Mordillat said it all . Almost. In 2012 , Ernest Pignon- Ernest involved in the prison of Saint -Paul de Lyon. His desire ? ” Giving a face, honor those who have been imprisoned, tortured, executed between these walls, by French executioners or by the Nazis. Also remember all those ” common law ” who suffered there , some to suicide . ” In the immeasurable beauty of the artist’s drawings , there was just the unspeakable . There is memory, this ” omniscience in all conscience ” that torments the most intimate of being and delivers the most vile and shocking pain. Criminal . The Ernest Pignon -Ernest hand follows the traits of body fulfilled . She plunged into darkness and gives life . A life that is anything but life. Funky seismograph in the virtuosity of his gesture , the artist gives track and arrives to identify the features of the dead. Yes. Death. Thus, his work still in its power and sensitivity, fragility, touches the sublime . This is what reveals the superb exhibition of the artist at Galerie Lelong . Windows sealed , tight atmosphere , secret , suffocating, Ernest Pignon- Ernest creates space in a dignified atmosphere works revealed. Shown to prison St Paul , the challenge and the difficulty were present on the walls of the gallery. And it is terrible and beautiful. Just taking , prégnant , strong, fair . At the back of the room , four huge body that can be guessed in a black cloth . With one hand and feet beyond that suggest that dead body , bruised , crushed, tortured. And just the folds of tissue that marks the flesh, the envelope, exist despite him actually resurrects the glory almost . Today Holy Shroud who delivers the wretched miracle of life extinguished , frozen , crushed and put this terrible and infernal question, inaudible : ” Who was I ?” Another wall is dedicated to ” yoyos ” . These ” plastic bottles with the help of string prisoners try to pass …. a window to another … Messages , coffee, cigarettes … all in a bottle more often taken in the wire where they hang as many votive offerings have nothing to hope for. ” ( E.P -E ) . Wall where juxtaposed cries , wild and crazy eyes , rails , gestures expected , unexpected , naked female bodies , dementia unfulfilled desires, children’s drawings that you will never see more … Signs envy, anger , love , despair , nausea, when you have more strength when we do not know when we capitulated. Outstanding . When fatigue becomes pain becomes burn that can no longer be so . Worse. Annihilation. This is the work of Ernest Pignon- Ernest whose gesture probe forgotten souls who bark in the dark , ” take me , or rather bury me” ( H.Michaux ) . Anne Kerner .
Ernest Pignon- Ernest , Gallery Lelong , 13 , rue de Teheran, 75008 Paris . Until 25/03/14 .
Ernest Pignon- Ernest , Maison des Arts de Malakoff , 105 Avenue of 12 February 1934 to 92240 Malakoff . Du 25 /01 to 03/30/14 .
(Images copyright Ernest Pignon- Ernest , courtesy Gallery Lelong, Paris)
Informations sur l’exposition
Désaffectée depuis 2009, la prison Saint-Paul à Lyon a « ouvert » une dernière fois en septembre 2012 pour les journées du patrimoine. Ernest Pignon-Ernest et d’autres artistes ont été invités à y intervenir.
« Avant que la transformation des lieux en campus ne provoque une amnésie collective, j’ai tenté d’y réinscrire par l’image le souvenir singulier d’hommes et de femmes, célèbres ou inconnus, qui y ont été torturés ou exécutés. Dans différents couloirs, cellules, cours, je me suis efforcé d’inscrire leur visage, leur corps, d’y introduire le signe de l’humain. La prison Saint-Paul de Lyon n’est pas une prison ordinaire. Klaus Barbie y a sévi. Jean Moulin, Raymond Aubrac, de nombreux résistants y ont été emprisonnés. Au cours de l’automne 1943, deux jeunes résistants y ont été détenus et guillotinés sur ordre de Vichy. »
« Dans cette architecture carcérale du XIXème siècle, les murs affirment leur poids, leur pesante épaisseur ; poids de pierres, de blindage, poids d’histoire et de douleur aussi… Les murs sont coiffés de ces dentelles d’acier aiguisées et redoutables que sont les barbelés auxquels, dérisoires, pathétiques, sont accrochés, comme des insectes dans une toile d’araignée, des lambeaux de vêtements, de couvertures et des dizaines de « yoyos », ces bouteilles de plastique qu’avec l’aide d’une ficelle les détenus tentent de faire passer, en les balançant de fenêtre à fenêtre. Cette image de yoyos pendus, la lecture de souvenirs publiés et quelques dialogues avec d’anciens détenus m’ont suggéré le dessin de multiples yoyos, signes de colère, de désir, de culpabilité, de désespoir, d’amour… »
Dans la prison Saint-Paul, a trouvé aussi sa place l’image du Parcours Jean Genet que l’artiste avait commencé sous le Pont de Recouvrance, à Brest, en 2006.
L’exposition à la galerie présentera un ensemble de photographies et dessins liés à cette intervention éphémère.
Ernest Pignon-Ernest, né en 1942 à Nice, vit et travaille à Paris. Depuis plus de quarante ans il invente des images qu’il appose sur les murs des cités. Aujourd’hui, il est unanimement reconnu comme un précurseur de l’art urbain, le « street art ». En octobre 2012, le Courtauld Institute à Londres l’a invité pour une conférence intitulée : « Before Banksy : Ernest Pignon-Ernest ».
Catalogue Repères préface de Gérard Mordillat. Une monographie sortira aux éditions Gallimard en janvier.
Information on exposure
Abandoned since 2009, the prison Saint -Paul Lyon “open” one last time in September 2012 for Heritage Days. Ernest Pignon- Ernest and other artists were invited to intervene.
“Before the transformation of places on campus does not cause a collective amnesia, I tried to reregister the singular memory of famous men and women , and unknown, who have been tortured or executed by the image. In different corridors, cells , course, I tried to register their face, their body, to introduce the sign of humans. Prison Saint- Paul de Lyon is not an ordinary prison. Klaus Barbie prevailed there . Jean Moulin, Raymond Aubrac , many resistance fighters were imprisoned. During the autumn of 1943 , two young resistance fighters were detained and guillotined by order of Vichy. “
“In this prison architecture of the nineteenth century , the walls say their weight, heavy thickness , weight of stones, shielding, weight history and pain too … The walls are wearing these sharp steel lace and formidable that are barbed which , ridiculous , pathetic , are hung like insects in a spider web, shreds of clothing, blankets and dozens of ” yo-yo “, these plastic bottles with the help of string prisoners try to pass , by swinging from window to window . This image yoyos hanged reading memories published and some dialogues with former detainees suggested me drawing multiple yoyos , signs of anger , desire , guilt , despair , love … “
In the prison Saint- Paul , has also found its place the image of Jean Genet career that the artist had started under the Pont de Recouvrance in Brest in 2006. The exhibition at the gallery will present a series of photographs and ephemera related to this action drawings.
Ernest Pignon- Ernest , born in 1942 in Nice, lives and works in Paris . For over forty years he invented it marks images on the walls of cities. Today, he is widely recognized as a pioneer of urban art, “street art” . In October 2012, the Courtauld Institute in London invited for a conference entitled ” Before Banksy : Ernest Pignon- Ernest .”Luciano Castelli, Self-portraits, 1973-1986, Maison européenne de la photographie.