Pour sa cinquième exposition à la galerie Chantal Crousel, Jean-Luc Moulène présente un ensemble d’oeuvres inédites. Toutes réalisées entre 2012 et 2016, depuis la fin de sa dernière exposition à la galerie jusqu’à aujourd’hui. Elles sont spécialement adressées pour l’évènement.
http://www.dailymotion.com/video/x244pwnLes objets, curieux et inédits, sont au nombre de 16, disposés avec précision dans l’espace de la galerie. Parmi eux, ConquOs qui, comme son titre l’indique, est l’assemblage d’un os et d’un coquillage. L’oeuvre joue sur les espaces intérieurs et extérieurs, qui s’entremêlent et s’inversent.
Conflit d’espace et de représentation que nous retrouvons dans Seule au sommet, une bubu, figure récurante dans l’oeuvre de Jean-Luc Moulène et mascotte du Grand Jeu1, est un dieu multiple, modulable et plastique. Seule au sommet est une abstraction, le bleu du ciel et le bleu marin supportent ce personnage fait de coquillages, entre ciel et mer, abîme et sommet.
« Tout s’inverse, le haut vaut le bas et le corps est la plastique de la représentation. Il faut revenir au Théâtre de la Cruauté, à cette opposition entre l’idéal et la condition. Mon travail est concrètement le lieu de ce conflit2. »
Inverse – reverse n’a de référence à la musique que par son titre emprunté aux paroles d’une chanson du Velvet Underground (The Murder Mystery). L’oeuvre est composée d’une branche d’arbre, qui, à chaque bifurcation a été coupée, retournée à 180° puis refixée. Les couleurs rouge et bleu, appliquées par alternance, donnent à la sculpture une certaine harmonie anatomique, non sans rappeler les illustrations classiques de la circulation sanguine.
Tête couronnée est un noeud de bois trouvé par Jean-Luc Moulène dans lequel ce dernier a enfoncé cinq de ses propres dents.
Comme très souvent dans son oeuvre, la notion de corps est encore présente dans ses nouvelles pièces.
« En 1970 Michel Journiac dit “le corps est viande”. En 1980 il complète : “le corps est viande sociale”. Et en 1990 il aboutit à cette formule : “le corps, viande sociale consciente”. J’ai accompagné ce mouvement qui faisait du corps l’enjeu de la représentation3. »
Quelque Soit Tensintegral et Nombre et Noeud sont à rapprocher de l’intérêt de l’artiste pour les mathématiques :
« La raison trouve dans la géométrie son meilleur argument. Alors que je pense que la géométrie peut servir autre chose que la raison4. »
Le processus de création de Quelque Soit Tensintegral tient de l’intégrité tensionnelle5, le plus souvent appliquée aux constructions rectilignes pour renforcer la résistance des bâtiments. Il est ici appliqué à de la tuyauterie en cuivre, aux formes quelconques et trouvées.
Toutes de petites tailles, les oeuvres présentées sont des productions d’atelier pour lesquelles l’artiste est allé au plus simple du côté de l’outil. Ce sont des objets de pensée, des concepts, des gestes. Les éléments divers, trouvés ou créés, y sont assemblés et ajustés avec exactitude.
« Le premier geste est souvent le meilleur, mais il ne faut surtout pas en faire une mythologie. […] En essayant d’améliorer un geste, on lui enlève son moment de surgissement. Le travail de la matière fait aussi surgir le langage non articulé qui va orienter les décisions. Ça peut être une digression, une onomatopée, un éclat de rire. […] Il y a un moment où l’objet décide qu’il est complet – c’est un impératif de l’oeuvre. Il faut l’écouter parler, l’objet, à ce moment-là 6. »
Un groupe d’images statiques et en mouvement, dessins à l’aquarelle et deux courtes vidéos s’ajoutent à la structure globale de l’exposition à la galerie.
Jean-Luc Moulène présente également une exposition personnelle au Centre Pompidou jusqu’au 20 février 2017.
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1. Le Grand Jeu est le nom d’une revue littéraire, éditée de 1928 à 1932, et du groupe dont elle est l’expression.
2. Jean-Luc Moulène, Chaque quelconque, entretien de l’artiste avec Briony Fer, Paris, octobre 2008.
3. Ibid.
4. Jean-Luc Moulène, entretien avec Jean-Luc Moulène, Alexandre Costanzo et Manuel Joseph, Paris, 2016.
5. Le concept d’intégrité tensionnelle a été défini en 1920 par l’architecte Buckminster Fuller. La traction ou tension est continue, alors que la poussée ou compression est discontinue.
6. Jean-Luc Moulène, Le premier geste, l’éclat de rire, catalogue de l’exposition, Centre Georges Pompidou, Paris, 2016.
Galerie Chantal Crousel, 10, rue Charlot, 75003, Paris, du 26.10 au 11.02.2016.