de la poussière et de la fracturation
Passionné et passionnant, le photographe d’origine alsacienne Alain Willaume développe une œuvre singulière en prise avec le monde qu’il sillonne et observe depuis de nombreuses années. Sous l’influence de longs voyages et à l’écart des courants, au Cameroun, en Inde, en Slovaquie, en Afrique du Sud, il dresse une cartographie personnelle faite d’images énigmatiques qui toutes racontent la violence et la vulnérabilité du monde et des humains qui l’habitent. En Arles, le regard s’arrête ainsi sur le mur consacré à Alain Willaume dans l’exposition Transition. Dans le cadre du Social Landscape Project, Alain Willaume a été invité à réfléchir sur les menaces liées aux projets d’exploitation du gaz de schiste par la société Shell dans la région désertique du Karoo en Afrique du Sud. Ici, nulle recherche de monstration ou de démonstration. Nul effet. Nul choc visuel. L’oeil est attiré par un travail non en noir et blanc mais indéterminé dans les gris travaillés et retravaillés majestueusement par le photographe. Comme pour ne rien imposer surtout. Mais laisser voir. Laisser apparaître. Doucement, lentement. Le format aussi est petit. Quelques images sont encadrées. Il faut se déplacer, “aller vers”. Et Alain Willaume raconte avec passion son histoire dans le Karro. Là où il n’y a rien. Rien à photographier surtout. Et comme dans ses recherches précédentes, c’est l’esprit qui trouve et voit tout à coup le mystère et le trouble. Un nuage, un homme, un regard. Il croise des victimes, des hommes en lutte, se rend compte d’une situation de ségrégation inchangée depuis 100 ans. Ainsi, en écho au futur incertain de cette région immense, il invente une métaphore évanescente et interroge un territoire hanté par les soupçons et les angoisses émanant des habitants rencontrés au hasard des pistes. Ses images résonnent des échos d’une menace environnementale d’une actualité brûlante. Leur magnifique silence hurle leur désespoir. Leur douceur crie leur humanisme.
Touché par ce travail sur le gaz de schiste, Alain Willaume se rend prochainement aux Etats-Unis pour mettre ses pas dans ceux d’un éleveur rencontré en Afrique du Sud dans le Karoo. Reportage à coup sûr tout en force et finesse dont on espère suivre l’aventure, d’un homme mandaté par l’équivalent du syndicat des agriculteurs et le lobby anti-tracking de la province pour y étudier les impacts environnementaux du tracking.
Une démarche, presqu’une mission. Superbe et engagée. Anne Kerner
A lire également sur le site l’interview de Laurent Clavel et Bénédicte Alliot.
Produite dans le cadre des saisons croisées France-Afrique du Sud par les Rencontres d’Arles et le Market Photo Workshop, Transition, paysages d’une société est une mission photographique d’une ampleur exceptionnelle, menée par six photographes français (Patrick Tourneboeuf, Alain Willaume du collectif Tendance Floue, Raphaël Dallaporta, Harry Gruyaert, Philippe Chancel, Thibaut Cuisset) et six sud-africains (Santu Mofokeng, Pieter Hugo, Zanele Muholi, Cedric Nunn, Jo Ractliffe, Thabiso Sekgala) sur le territoire de l’Afrique du Sud. Arte a retransmit les Nuits des Rencontres d’Arles dont Transition.
Un livre est édité à cette occasion par les éditions Xavier Barral. Une première version de cette exposition a été présentée cet hiver à Johannesburg.
Lire un extrait de l’interview d’Alain Willaume avec Patricia Hays (français / english) à paraître dans le livre publié aux éditions Xavier Barral