Anne Ferrer nous avait accueilli dans son atelier il y a quelques années. Aujourd’hui, son art prend toujours et toujours plus d’ampleur. Pour preuve son oeuvre gigantesque sous la verrière du Taubman Museum of art de Roaneke en Virginie.
Une jeune femme sous tension. Vibratile. Bondissante comme un électron libre. Le corps élancé, la tête enveloppée d’une épaisse chevelure rousse, Anne ferrer, l’allure féline, ne tient jamais en place. Cette perfectionniste qui bouge sans cesse d’un dessin, d’une sculpture à l’autre, cherche sans arrêt « à pousser les limites élastiques entre l’art et ce qui ne l’est pas ». A provoquer le « vulgaire en manipulant l’humour. A se faire « rougir » aussi. « Lorsque je commence mes objets, il faut que je sois capable de me faire rougir. Pour m’étonner, me choquer. C’est une volonté d’être insolente vis à vis de soi-même. Rougir, c’est une manifestation visible sur le corps mais qui se manifeste à l’intérieur. Pendant des années j’ai rougi par timidité. Maintenant je crois que j’arrive à rougir dans mon travail », avoue t-elle avec satisfaction. L’accent de Toulouse chante dans sa voix. Malgré l’amarrage parisien. Malgré ses années de « Master of Fine Arts » à l’université de Yale. Et les racines catalanes nourries par la « rauxa » qui animait déjà Joan Miro, ancrent cette volonté toujours tenace de recherche, d’approfondissement, de défi constant pour toujours mieux nous « inviter à participer aux instants premiers de la Fête », comme l’écrit Jacques Dupin à propos du maître espagnol. Ce désir, aussi, de ne surtout pas « rester dans le bon goût », dans le mitigé, le « presque rien ». Anne ferrer revendique au milieu des ses fleurs tentaculaires et acidulées comme des bonbons, provocatrices avec leur pistil dressé ou en forme de nez de cochon, au centre de son univers de mutants génétiques de vinyle, de skaï et de froufrou en tous genres qui rappellent les odeurs de ballons et de cahiers neufs, les forces attractives et répulsives, l’artifice de la parade de la nature et du sexe, l’érotisme à la limite du pornographique. Et l’excès. Surtout l’excès. L’agressivité même. Ce qu’elle appelle le « presque trop ». « Parce que ce qui est important, c’est de pouvoir séduire et déranger en même temps ».
Séduction. Perturbation. Les mots sont lancés. Ceux incisifs qui définissent déjà ce petit bout de femme qui grandi comme un garçon manqué. « On ne peut pas dire que j’étais hermaphrodite ( !), mais, jusqu’à 15 ans, j’avais un statut entre le garçon et la fille, la femme et l’enfant. Un artiste, poursuit-elle, n’est-ce pas un éternel adolescent ? …. C’est un être toujours en rébellion avec lui-même, avec son corps, son cerveau ». Importance donc capitale de l’enfance. « J’écrivais très mal. J’étais dyslexique. Mais je pratiquais le dessin à merveille. Je crois que j’ai transformé cet handicap en quelque chose de créatif. Ce tumulte est devenu constructif. Et c’est peut-être la définition même de l’art : pouvoir gérer le désordre, le bazar ! ». Anne Ferrer parle vite. Explique. S’interroge en même temps. Elle jette un coup d’œil dans son petit rez-de-chaussée du Marais qui lui sert d’atelier et où s’entassent, s’accrochent, débordent, se plient et se replient, ses « fleurs accordéon ou poumon, ses fleurs ventilateur ou dépouilles, et encore ses fleurs tête ou à Bulle de chewing gum. Son regard se pose sur la machine à coudre. « A quinze ans, je désirai créer quelque chose qui puisse être partagé, quelque chose qui puisse être à tout le monde », dit-elle se souvenant de son passage aux Arts Appliqués. « J’ai gardé une trace de ces années-là, lorsque plus tard, j’ai réalisé des sacs de couchages réversibles ou des pièces qui pouvaient servir de lieu de repos en position fœtale. Car je les concevais comme du design. J’invitais le spectateur à dormir, à se vautrer, à se rouler dans mes œuvres ». Quatre ans plus tard, la jeune française embarque pour les Etats-Unis. « C’est là que je suis sortie de mes gongs ! La manière dont les couleurs, les fleurs s’imposent, explosent sur les murs vient de là ». Fascination pour son professeur Vito Acconci. Travail en équipe avec Matthew Barney et Charles Long. Envoûtement par Jeff koons, Claes Oldenburg et Giorgia O’keefe. Anne Ferrer regarde là où il faut. Là ou ça bouge et ça dérange. Entre le délice et l’horreur. A la naissance du ravissement.
« La première fois que j’ai montré mes « carcasses », en 1991, j’ai eu un haut le cœur ! Lorsque je vais trop loin, je sais que je suis sur la bonne voie ». Une voie débordante d’énergie, de vitalité, de générosité, de sensualité, d’amour aussi. Car « l’art doit être comme un cadeau », poursuit l’artiste qui manipule ses œuvres et les prend dans les bras, comme pour les embrasser. Ses sculptures molles faites de matières « surtout pas naturelles » qu’elle glane au Marché Saint-Pierre ou dans les petites boutiques du troisième arrondissement. Chocs et embrassades encore. Du vinyle et de la dentelle. Du mat et du brillant. Du dur et du mou. Et puis du rose, du rouge, du jaune, du vert, du violet qui éclatent, vibrent et dansent dans un show de couleurs acidulées et stridentes qui évidemment appellent la gourmandise, l’avidité, le lyrisme, l’allégresse, la passion. La plasticienne dessine ses projets dans de superbes aquarelles et pastels. Puis elle conçoit, coupe, assemble, coud les matériaux : « Je n’aime vraiment pas la couture ! Mais je crois avoir besoin d’une relation amour-haine avec le médium ». Après deux ans passés dans un foisonnement floral sans commune mesure, Anne Ferrer a rêvé «d’une tornade blanche qui nettoie en même temps l’atelier, la galerie ou le musée ». Le rêve est devenu réalité en prenant la forme d’une immense langue. « C’est un geste radical qui va tout balayer, une sorte de mise au point par rapport à la création… une manière aussi de passer au siècle prochain ». De ses premiers « cochons » insolents dont il ne restaient plus que les chrysalides à ses incroyables être indifférenciés où s’entremêlent le végétal, l’animal et l’humain dans une sorte d’hybridation première, à sa prochaine « langue » de 4 mètres de haut animée d’un mouvement de rotation, Comme si Anne ferrer savait éviter le débat orageux de l’homme avec son double Dans un état d’innocence qu’elle n’a pas eu à conquérir et qui la met en communication, sans intercesseur, avec les forces cachées qui gouvernent la vie profonde des êtres et des choses. A.K.
Anne Ferrer, Hot Pink, The Taubman Museum of Art, Roaneke, Virginie, Du 13/04 au 19/10/13.
Les Trente ans du FRAC Alsace, 1 espace Gilbert Estève, Route de Marckolsheim, 67601 Sélestat. 03 88 58 87 55. Du 18/05 au 22/06 2013.
Sculptrices, Villa DATRIS, 7, avenue des 4 Otages, 84800 L’Isle-sur-la-Sorgue, 33 (0)4 90 95 23 70. Du 28/04 au 11/11/13. (Images, courtesy Anne Ferrer).