Jusqu’à ce jour, et l’inauguration de l’exposition personnelle que consacre la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois à Paul Kos (né en 1942), l’oeuvre de l’artiste californien a sensiblement résonné en France au travers de quelques oeuvres emblématiques visibles à l’occasion d’expositions collectives, ainsi que par sa présence dans des collections telles la Fondation Kadist ou le Fonds régional d’art contemporain Lorraine. Mais c’est surtout par ceux qui ont pu témoigner, sur place, en Californie, de la vivacité de l’influence de Paul Kos sur l’art conceptuel de la Baie de San Francisco – et, par contraste avec la scène New-Yorkaise, de sa contribution à l’art conceptuel américain tout entier, ainsi que par la notable documentation critique qui s’est adossée à son oeuvre depuis les débuts de sa carrière (à la fin des années 1960) que le travail de Paul Kos a pu être appréhendé en Europe.
Le catalogue de la rétrospective majeure qui lui a été consacrée en 2003 au Berkeley Art Museum and Pacific Film Archive indique bien la figure charnière qu’incarne Paul Kos au regard des artistes de sa génération dont il a été très proche (Vito Acconci, Bruce Nauman, Bas Jan Ader, Joseph Kosuth, Larry Bell, pour ne citer qu’eux) et de plus jeunes artistes qui le reconnaissent aujourd’hui comme l’un des enseignants les plus influents de ces trente dernières années sur la côte Ouest ; parmi eux, on retrouve d’ailleurs Julien Berthier, qui a suivi ses cours et qui investira le Project Room parallèlement à cette exposition.
Figure charnière, Kos l’est également pour avoir assisté de près – si ce n’est participé – à la création du MOCA par Tom Marioni en tant que lieu d’exposition indépendant, ou encore à celle du mythique magazine Avalanches.
Pour la première fois en France, le public aura l’occasion de découvrir le travail de Paul Kos, de l’expérimenter véritablement au travers d’un corpus d’oeuvres très représentatives de sa pratique et qui courent de 1968 à 2012.
Ces oeuvres mettent en lumière les forces paradoxales sur lesquelles l’oeuvre de Kos est fondée. En guise d’introduction, nous pourrions arbitrairement donner comme exemple les oppositions Est/Ouest, Ying/Yang, Donneur/Receveur, Forme/Contenu, Sérieux/Humour, Ephémère/Permanent, Ordinaire/Extraordinaire. Ce qu’il est important de noter, c’est que cette notion paradoxe est employée pour ses propriétés dynamiques, car c’est en jonglant avec elle que l’artiste peut prétendre à la recherche d’un équilibre.
Cela peut se traduire chez Kos par la défiance sérieuse ou amusée de lois universelles qu’elles relèvent de la physique (comme c’est le cas pour la série d’oeuvres intitulées Equilibre qui, sans équivoque aucune, déjouent la gravité), de la chimie (Kinetic Ice Block), de l’acoustique (The Sound of Ice Melting), ou de tout cela à la fois. Si elles trouvent leur forme dans la performance, l’installation, la vidéo, les oeuvres de Paul Kos n’ont pas pour fin la production d’objets. Leur point de rencontre serait plutôt lié aux préoccupations de la sculpture : chacune s’attardant, s’attaquant avec poésie et dérision aux éléments ou données qui peuvent constituer la sculpture. Entrent ainsi en jeu les matériaux ou les objets, le processus, le geste, la durée, ou encore la dimension symbolique, voire même rituelle, de l’Art.
Leslie Compan
En regard de l’exposition monographique dédiée à Paul Kos dans l’espace de la galerie Vallois, le Project Room est consacré à l’artiste Julien Berthier (né en 1975).
Bien que les termes de coïncidence ou encore d’accident ne soient pas pour déplaire à Kos et Berthier, nous devons dire d’emblée que ce rapprochement n’est pas fortuit mais bien volontaire. Alors qu’il est étudiant à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Julien Berthier suit en 1998 les cours de Paul Kos au San Francisco Art Institute, bénéficiant de son enseignement et témoignant en retour de l’influence que Kos a exercée sur plusieurs générations de jeunes artistes. Et c’est lui qui, représenté par la galerie depuis 2001, a fait redécouvrir cette oeuvre aux Vallois, et a initié cette nouvelle collaboration.
Il est ainsi naturel de retrouver des points de rencontre entre les deux artistes, tout au moins en ce qui concerne l’analyse et la méthodologie de travail. La sensibilité au contexte artistique et social, alliée à l’observation des mécanismes symboliques, sociaux et économiques qui sont à l’oeuvre, engagent Berthier et Kos à révéler les contradictions et l’absurdité de la réalité avec légèreté et humour.
Remarquablement, chez Julien Berthier, l’objet est envisagé comme catalyseur, ou même
comme symbole de cette absurdité, car l’artiste se voit animé par deux tendances contradictoires : le désir de l’amélioration par l’objet et le constat de son inutilité. Il y a en cela chez Julien Berthier quelque chose de Jacques Carelman, décorateur et illustrateur français connu pour la parodie du catalogue Manufrance publiée sous le titre Catalogue d’objets introuvables en 1969. Cette encyclopédie des objets pratiques entretient, pareillement au travail de Julien Berthier, le doute quant à la possible effectivité des objets.
Nous pouvons dire qu’il en est de même pour les images et le texte, qui – déchirés entre le trop plein et le manque – en sont réduits à n’être que trop bavards ou trop obscurs. C’est en tout cas cela que le projet A LOST explore : en retirant sur une affiche publicitaire le terme qui signifie lui-même le manque, Julien Berthier révèle une perte de sens profonde et réduit le symbole publicitaire à sa pure fonction décorative.
Leslie Compan
Paul Kos et Julien Berthier, galerie Vallois, 36, rue de Seine, 75006 Paris. Jusqu’au 19/01/13.
Images, les deux premières Marie Dalmasso ouvretesyeux puis copyright galerie Nathalie et Georges-Philippe Vallois Paris