Comment parler de la violence, du trop plein, de l’absurde ? Comment dire l’énigme de la figure et du lieu ? Comment encore exprimer l’impersonnel comme la cérémonie du monde ?
Comme le disait si bien Marc le Bot sur Balthus : « A seulement vouloir regarder ses images, à vouloir ignorer sa légende, à même vouloir tout ignorer des circonstances et des temps où furent peintes ces images, à feindre donc qu’elles soient contemporaines les unes des autres, on reconnaît les signes constants que cette peinture fait subir à elle-même et aux choses, on ressent l’étrange inquiétude que cette violence engendre, on se trouve pris dans un suspens de temps qui arrache tout à la vie et au monde ».
Ce présent immobile arraché au temps fuyant du monde, Iris Levasseur le tient aussi entre ses doigts. Mouvement arrêté qui vacille pourtant devant les yeux. Corps immobiles qui tourmentent pourtant le regard. Tout sent la mort. Tout crie la vie. Ca sent le souffre et ça dérange.Dans l’entre, le regardeur se trouble. Les tensions, les impulsions, les passions contrariées bouleversent et dérangent… Rester ou fuir ?
Rester ou fuir devant ces crucifixions contemporaines où les figures tranchent l’espace dans un jeu macabre ? Rester ou fuir devant ces scènes parfois insoutenables qui donnent à voir la misère de notre temps et de tous les temps dans d’habiles compositions de verticales et d’horizontales à couper le souffle ? Dans l’échiquier où les corps tracent des axes dans l’espace peint, les couleurs se dématérialisent pour pousser la transparence au bout du bout de ses limites. Creuser tellement le visible pour donner le pouvoir à l’invisible. Dans les damiers d’iris Levasseur où le corps est nu ou n’existe que par le vêtement qui l’enveloppe, le moindre détail apparaît poussé à son paroxysme. Gestes subtils, comme posés, mouvements répétitifs d’un ballet de Pina Baush… On en entend presque la musique lancinante… Ici aussi, Iris Levasseur, dans ses peintures et ses dessins en fait sûrement trop. Trop de grandeur. Trop de perfection. Trop de mystère et d’ambiguïté. Trop de malaise. Quand le voile se déchire t-il ?
Les espaces restent définitivement clos imbriqués dans les formes géométriques des lieux et des corps. Parce que la peinture d’Iris Levasseur veut tenir dans une seule œuvre toute la violence, les éclats, les écarts, les élans de l’Homme. Lui qui tourne la tête, vu de dos, couché, visage informe, caché, masqué, inexistant, corps qui disent pourtant tout d’un érotisme fort qui hurle dans l’oppression du cadre. L’impersonnel ici devient fou. Fou d’avidité de la perte dans le tout et dans le désir de le donner à voir.
Et voir, ici, n’est pas innocent.
Anne Kerner
Iris Levasseur, Art Collector, “Le Studio”, Patio Art Opéra, 5, rue Meyerbeer, 75009 Paris. Du 18 au 28 juin 2012. Images, montage de l’exposition au Patio, courtesy ouvretesyeux